CORSE 2006 – En rando sur le GR20 (section nord)

avril 27th, 2009 Posted in MONTAGNE

JOUR 9

Lundi, 28 août 2006, ensoleillé, puis nuageux et venteux en soirée
De Ascu Stagnu vers Tighjettu via le Cirque de la Solitude

EXTRAIT DU TOPOGUIDE

« De là, se découvre E Cascettoni (ou le cirque de la solitude), un des lieux mythiques du sentier GR20. C’est le tronçon le plus impressionnant du parcours. Le site est constitué de parois rocheuses très raides sur lesquelles un randonneur non aguerri à la montagne peut être impressionné. L’itinéraire passe par des barres rocheuses qui ont nécessité des aménagements (mains courantes, échelles). Néanmoins, il ne présente aucune difficulté technique, mais seulement quelques petites escalades. Il faut être vigilant par temps de pluie et faire attention aux chutes de pierres. »

Lever à 6:00. Tout est prêt pour le départ. Nous nous rendons au resto pour le petit déjeuner. Croissants, pain, confitures, jus d’oranges, café, nous faisons le plein car nous en aurons besoin. Après un séjour aux toilettes (merveilleuse toilette possédant un véritable siège), nous quittons la chambre. Nous faisons le plein en eau, à la source découverte la veille. Nous repérons le sentier qui débute dans la pente de ski. Peu de temps après, le soleil apparaît. Nous réalisons que nous serons rapidement et continuellement exposé à ses rayons ardents. On s’arrête et on prend le temps de s’engluer de crème solaire. Personnellement, je trouve ça dégueu. On est tout graisseux, et on n’a qu’un peux de savon désinfectant pour se rincer les mains. Mais je préfère ce feeling, à celui d’un petit coup de chaleur, en fin d’après-midi. (grande fatigue, frissons, inconfort).

D’abord sur la pente de ski, puis en forêt, nous débouchons sur une immense vallée rocheuse. Nous pouvons apercevoir droit devant nous, les murs cachant le Cirque. Nous progressons bien. Je suis en peu anxieux, car je sais que lorsque nous avions fait la via Ferrata dans les alpes, il y 2 ans, j’ai un peu angoissé sur la paroi. J’étais très impressionné par la hauteur et la raideur de la falaise. Louise n’a pas l’air préoccupée outre mesure, en tout cas, elle ne laisse pas voir. Juste avant d’entreprendre la dernière montée, nous nous arrêtons pour manger et relaxer un peu. Les 4 français sont justes devant nous. Nous repartons en essayant de les suivre. Parois la piste est très bien marquée, mais à d’autres moments, nous devons un peu chercher à droite et à gauche. Alors c’est toujours intéressant de suivre quelqu’un, même si c’est de loin. Ça facilite le repérage de la piste.

C’est l’arrivée sur la crête. Je découvre avec soulagement que le précipice n’est pas un mur droit mais qu’il possède une certaine pente. Par contre à ma surprise, Louise a l’air très impressionnée, et elle me le confirme. Je trouve ça bizarre. Elle avait adoré la via Ferrata, qui me semblait à moi, beaucoup plus terrifiante. Nous nous rapprochons du bord, pour regarder les 4 français qui ont déjà entamé la descente. On entend la voix du plus grand qui prodigue des conseils. Entre temps, arrivent les 2 italiens. Nous échangeons quelques minutes, et ils s’aperçoivent de l’inconfort de Louise, et que tous 2 nous ne sommes pas des experts en escalade. Le plus costaud des 2 offre son aide à Louise. Cela semble la réconforter. Nous débutons donc la descente nous aussi. Les premiers mètres se franchissent sans trop de mal. Puis apparaissent les premières chaînes. Je descends en premier avec Jean-Paul, celui avec qui on discute habituellement le plus.

Louise suit avec le 2e italien. Heureusement qu’il n’est pas loin, car quelques minutes plus tard, alors qu’elle doit adopter une position très penchée vers l’avant, sa gourde glisse et se détache de son support. Elle se met à valser dans le vide, maintenue uniquement par l’élastique du couvercle. Son « protecteur » la rejoint en un rien de temps et replace la gourde dans son réceptacle. Il rassure Louise, lui dit de respirer, de bien prendre tout son temps. Il nous répète souvent de ne jamais se retrouver à 2 prises. Il faut en tout temps ne libérer qu’un pied, ou qu’une main et chercher à l’aide de ce membre libre, la prochaine prise. Ce n’est que lorsque l’on est certain de la solidité de la nouvelle prise que l’on peut détacher une autre main ou un autre pied, et ainsi de suite.

Du coup je comprends pourquoi plusieurs randonneurs possèdent une gourde métallique. Il s’en fallut de peu que cette bouteille n’aille se fracasser sur les rochers quelques pieds plus bas. En quelques secondes nous aurions perdus 1 litre d’eau. Pour la plupart des étapes, le topoguide mentionne « se munir d’eau car ce parcours en est dépourvu. » Comme nous n’étions pas seuls sur le sentier et que nous avions à deux, environ 4 litres d’eau, il n’y aurait pas eu trop de danger de déshydratation. Sauf que plus nous avons d’eau, plus nous pouvons en boire et avec la chaleur et l’effort, nous n’avons pas envie de nous en priver.

La descente se poursuit sans autre anicroche. Le type de roches de cette paroi se prête bien à l’escalade, car on trouve assez facilement des prises. Nos doigts n’ont pas à chercher longtemps avant de trouver une poignée solide et rassurante. Plus nous descendons, plus l’entonnoir se rétrécit. Nous sommes entourés de murailles vertigineuses. Le paysage est terriblement austère et intimidant, et il fait beau aujourd’hui. Nous bénéficions de conditions optimums: soleil, absence de vent, temps clair. Qu’est-ce que ça doit être ici, lorsqu’il fait mauvais…

À ce qu’on dit, l’endroit est extrêmement dangereux par temps orageux. Cloués à cette falaise, les êtres humains deviennent des cibles parfaites pour la foudre. Mais sans pousser si loin, l’aventure doit devenir très angoissante lorsque les conditions météorologiques se détériorent. (Brouillard, vents, pluie). J’essai de profiter de chaque instant. Je suis très rassuré du fait que l’italien s’occupe très bien de Louise. Je crois que dans les circonstances on ne pouvait trouver mieux. Dans des situations pareilles les conseils entre personnes d’un même couple, ne sont jamais bien reçus. Par contre à ce moment, comme à tout autre moment délicats de la rando, Louise me dira qu’elle a apprécié que je m’informe constamment de son état et que je lui dise à tout moment de prendre son temps.

Après plus d’une heure de rudes efforts, nous atteignons le fond de la vallée. Louise semble fatiguée. Après avoir relaxé un peu, il faut déjà entreprendre la remontée. Nous insistons pour que Jean-Paul et son collègue, aillent de l’avant sans nous. Depuis déjà une bonne heure, nous avons l’impression de les retarder. Nous aurions préféré, nous reposer davantage et monter à notre rythme par la suite. Ils nous répondent qu’ils ne sont pas pressés et qu’ils vont nous accompagner. D’un autre côté, cela nous tient motivés et en haleine. Et s’il y a un pépin, nous aurons de l’aide.

Question de remonter le moral des troupes, nous discutons sur le fait qu’il est beaucoup plus facile de monter que de descendre ce genre parois. Il est plus simple de détecter les prises car elles sont sous nos yeux. C’est un fait. Par contre nous le savons tous, mais évitons surtout de le mentionner, l’effort physique est plus demandant, car il faut monter. Nous débutons la remontée. Petites escalades, chaînes, échelles, tout y passe. C’est vrai que c’est plus facile, on se sent plus sûre de nous lorsque l’on pose un geste. Mais, l’effort est constant et il faut demeurer vigilant. Plus nous montons, plus ça redevient aérien et vertigineux. Il y a plusieurs passages délicats. Louise se rendra compte qu’il valait mieux que nos amis demeurent avec nous, jusqu’au sommet. Après une heure, nous commençons à voir des gens sur le haut de la falaise. Nous arrivons d’abord sur une succession de petits plateaux qui nous permettent de reprendre notre souffle et surtout de relâcher un peu la tension. Nous pouvons alors regarder autour et constater que nous avons fait du chemin!

Arrivé sur la crête, Louise est exténuée. Je suis mois aussi très fatigué. Mais, nous sommes tous les deux très fiers de notre exploit. Nous regardons une dernière fois ce paysage fantastique. Ce cirque aux parois tellement rudes, cette succession de ravins et d’obstacles, une grande aventure que nous ne sommes pas prêt d’oublier! Il y plusieurs personnes qui lunchent sur la crête. La Suissesse à qui nous avions causé la veille, nous accueille en nous disant « Bien voilà, c’était quelque chose !!! Alors maintenant, après avoir fait ça vous pourrez faire n’importe quel trek dans le monde, car en Suisse, il n’y a rien d’aussi difficile que ça ! ».

Plusieurs visages nous sont maintenant familier. Nous nous saluons tous et nous encourageons. Nous nous installons confortablement avec vue sur la nouvelle vallée où nous devrons descendre pour atteindre le refuge. Après un bon repos, et un petit goûter, nous décidons d’entreprendre cette descente. Nous ne nous faisons plus d’illusions maintenant. Nous savons qu’une descente n’est pas vraiment un moment de détente. Nous descendons au rythme des escalades, profitant ça et là, de quelques bouts de sentiers plus faciles. Nous nous encourageons et nous répétons sans cesse de demeurer concentrés, de regarder où on met les pieds.

Nous atteignons enfin le refuge du Tighjettu. Il y a beaucoup d’activités autour de nous. Ce refuge est l’un des plus modernes du circuit. Il est vraiment très beau. À l’intérieur, le toit est supporté par d’immenses poutres de bois qui se croisent au centre. Nous allons dormir dans le refuge. Nous installons nos trucs sur les deux premiers lits au deuxième étage. Pendant que Louise tente de prendre une douche à l’eau froide sous le refuge, je déguste une bière sur le balcon. De ce balcon, on a une vue imprenable sur la vallée. C’est le premier refuge où il y a des petits casiers pour déposer les bottes. Je discute avec le gardien et le doyen des 4 français. Lorsque nous sommes arrivés, le gardien s’est exclamé: « mais vous êtes bien trop chargés ! »

Nous discutons sur le fait que dans la documentation, on indique pas qu’on peut maintenant retrouver suffisamment de nourriture dans les refuges, et qu’il y aussi assez de place pour dormir. Cela permettrait de voyager plus léger. Le gardien se vante qu’il y a ici les plus beaux couchers de soleil. Je crois que nous n’aurons pas l’honneur d’en voir un ce soir. Je regarde les nuages qui passent à une vitesse folle au fond de la vallée. Un léger voile gris commence à surfer au dessus du refuge. Il vente très fort. Je suis rassuré de penser que je dormirai à l’intérieur ce soir.

Une jeune fille se présente dans l’entrée du refuge. Elle est accompagnée de son copain et elle est blessée. Elle veut parler au gardien mais elle ne parle qu’anglais, et le gardien que français. Comme. il n’y a que des français, autour et que personne ne comprend l’anglais, nous nous offrons comme interprète. Nous ne sommes pas parfaits bilingues, mais ici c’est tout comme! La fille a une blessure assez profonde au cuir chevelu et l’avant du tibia. Elle demande de l’aide. Le gardien dit qu’il n’aura pas d’autre choix que d’appeler l’hélico. Quelqu’un intervient dans la discussion, pour mentionner qu’il y a une équipe complète du SAMU qui campe sur le site. (Service d’Aide Médicale Urgente, genre de 911 français)

Quelqu’un part pour demander leur aide. Une première personne se présente, c’est une infirmière. Elle examine la fille et trouve que c’est laid. Puis, une petite femme fait son apparition, c’est elle le médecin du groupe. Un gars de leur groupe l’accompagne. Elle examine à son tour la fille. Il lui faut définitivement des points au cuir chevelu. Elle demande à tout le monde si quelqu’un a du matériel pour permettre de faire des points. Négatif. Le gardien lance un appel radio pour une évacuation par hélico.

Il y a une presque une prise de bec à un moment entre le gars du groupe et le gardien, à propos de ce qu’il faut faire. Le gardien n’est pas du genre à s’en laisser imposer, et les membres de l’équipe du SAMU ne se prennent pas pour de la petite merde. Depuis qu’ils sont arrivés, ils ont tassé tout l’monde et ils ont « graissé épais ». La médecin fait de son mieux pour faire des pansements temporaires. Les membres du SAMU regagnent leur tente. Un calme relatif s’installe sans le refuge. La pauvre fille (d’une vingtaine d’années) attend, assise dans l’entrée. Son copain raconte qu’elle a chuté à peine à 50 mètres du refuge. Les deux jeunes préparent leur séparation. Il n’y a qu’elle et son sac à dos qui pourront monter à bord de l’hélico. Elle partira pour Calvi, et lui devra repartir demain pour quelques jours de marches avant de pouvoir la retrouver. C’est dommage pour eux. S’ils n’avaient que deux semaines de vacances, cela vient de les briser un peu.

Il est près de 17:00. Nous décidons de passer à table. Au menu lyophilisé, spaghetti. Nous avons du mal à démarrer le poêle à gaz. Alain l’un des français vient nous coacher. Nous soupons en discutant un peu avec Jean-Paul et les français. Pendant que nous mangeons, les 4 français sont à la table d’à côté. C’est l’heure du débriefing de la journée suivi du briefing pour le lendemain. C’est fait avec beaucoup de professionnalisme. Crayon en main, ils examinent les cartes et prennent des notes. Ils ne mangeront que vers 19:30, heure de souper normal pour les français, et les cuisiniers de refuges… Juste comme nous achevons de laver notre vaisselle, l’hélico s’amène.

Tous se précipitent sur le balcon, en passant un peu effrontément devant la blessée qui attend nerveusement. Le vent s’intensifie, la vallée s’assombrit. L’hélico, remonte la vallée puis fait volte face et disparaît un peu plus bas. Les gens reviennent dans le refuge. La fille et son copain sont debout sur le balcon. Ils se bécotent et s’encouragent. Puis l’hélico revient. Le refuge se vide à nouveau toujours en passant devant la pauvre qui doit se dire quelle bande d’imbéciles. L’hélico s’en retourne. Le gardien vient annoncer à la fille qu’elle devra descendre à pied à plusieurs centaines de mètres plus bas, car le pilote considère que c’est trop risqué de tenter l’évacuation à partir du refuge.

La fille se prépare. Elle part en compagnie de son copain et du gardien. Le temps n’est pas commode, et le soleil est déjà couché depuis quelques minutes. Lorsque l’hélico revient, on a peine à voir l’opération à partir du balcon. C’est beaucoup trop sombre. On ne voit que les « spots » de l’hélico, et ses lampes rouges et vertes qui clignotent. L’évacuation est terminée. Pas facile pour l’équipe de sauvetage. Ils ont toute notre admiration.

Entre temps, sont arrivées quatre jeunes filles d’environ dix-sept ans. Une seule parle vraiment français. Les autres parlent Allemand ou une langue similaire, difficile de dire leur nationalité. Elles ont décidé de prendre les 4 lits du fond sur notre étage. Les français tant qu’à eux, occupent une chambre en dessous de nous. Les italiens sont dans l’autre chambre. Il n’y a que nous qui devrons partager notre dortoir avec des étrangères. Tous les pensionnaires ont soupé. On se prépare pour la nuit. La toilette est située un peu plus bas. Nous nous y rendons. Il faut descendre un genre d’escalier aménagé avec de grandes pierres plates. Juste comme nous arrivons près de la porte, ma scoucoune se défait d’entre mes orteils, et je manque de tomber, tout ça devant la médecin qui sortait de sa tente. Elle me dit d’un ton pincé « attention là, on a déjà eu assez de problèmes comme ça aujourd’hui ! »

Il y deux toilettes. Cet après midi, j’ai noté qu’elles étaient dotées de chasse d’eau, mais que l’une d’entre elles ne fonctionnait pas. Alors on utilise celle qui semble être là mieux. Petite acrobatie turque, et nous refermons la grosse porte d’acier verte foncée, en prenant bien soin de la coincer avec un gros caillou qui l’empêche de claquer au vent. Tout autour les tentes se font drôlement brasser par le vent. Comme je suis content de dormir à l’intérieur. Les nuages passent à une vitesse folle dans le bas de la vallée et au dessus de nos têtes, c’est plutôt comme un brouillard qui avance rapidement. Nous sommes comme dans un sandwich de nuages. Il fait presque noir, c’est lugubre. Il fait froid. 20:30, nous nous mettons au lit. La plupart des pensionnaires nous imitent. Le gardien ferme la plupart des lampes. Nos 4 colloques on décidé de faire leur toilette du soir, séparément. Tour à tour elles s’emparent de la lampe frontale, et sortent du refuge. Comme au refuge de Carrozzu, c’est à nouveau un véritable balai de faisceaux lumineux qui dure plusieurs minutes. Elles finissent par s’installer.

Après quelques piaillements, le silence s’installe dans le refuge. Le vent souffle fort, les poutres craquent. Mais je me sens en sécurité, je m’endors.


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